une petite revue d'une petite montre qui m'est particulièrement chère...juste pour témoigner qu'une montre peut durer une vie...
une petite Lip, produite à des millions d'exemplaires, sans aucune prétention,
mais qui a la seule qualité d'être la montre de mon père...
rien de bien spécial, une petite taille, 32mm, conforme aux standards de l'époque,
un boitier en laiton chromé, salement déplaqué et rogné, signe de 40ans de port quotidien et ininterrompu,
un cadran champagne, une petite seconde à six heures, des aiguilles éffilées et des index peints...
pour la petite histoire, mon père à porté cette montre toute sa vie,
elle lui avait été offerte pour sa communion par ses parents, donc vers 1950,
surement acheté à la bijouterie Hervieu à Amiens,
(d'où vinrent également en leur temps et longtemps aprés nos propres premières montres),
portée sur des bracelets en nylon renouvellés tous les deux ans aux Nouvelles Galeries d'Amiens
et il l'a porté presque tous les jours, ce qui est assez émouvant...
lors de ses études en pension dans le Jura, lors de ses camps scouts, sous le regard protecteur de ses frères ainés
puis lors de son service millitaire en Allemagne, au
2nd régiments de Tirailleurs Marocains, souvenirs allemands de méchouis et de harissa...
de ses études supérieures, des ses premiers stages, sorties, vacances...
puis lors d'un grand périple en célibataire avec des amis "
la Scandinavie en 2CV", vers 1962,
cuisine française en auberges de jeunesse sous le retard interloqué des autres
protos-routards et Chateau-Latour de mon grand-père dans des jerrican de 20 litres... (authentique
)
puis lors de la soirée diapo du retour à laquelle il invita ma maman...
a l'occasion de leur fiançailles, cette dernière lui offrit une Oméga, acheteé en Suisse à l'occasion de sa villégiature annuelle à Evian avec ses parents,
une Oméga dont j'ai peu de souvenirs, une Deville plaquée or il me semble, pour l'avoir rarement vu au poignet de mon père...
mais il restait fidèle à sa Lip, devant réserver l'autre montre pour
les grandes occasions, sans toutefois prendre la peine de changer de montre...
le jour de la naissance de ma soeur, il est arrivé en retard à la maternité s'étant raser "pour ne pas piquer sa fille",
et devait regarder l'heure frénétiquement, jeune papa fou de joie et d'inquiétude...
des vacances dans le Béarn, en 304 puis en 504 break, dans la maison de ma grand'mère, où je le vois laver ses sempiternels bracelets en nylon à la brosse a ongles,
se promener dans les Pyrénées ou dans les vignes de Madiran, au marché de Lembeye, achetant des cagettes de prunes...
des séjours en espagne le long du chemin des écoliers, faisant des kilométres de routes poussiéreuses pour enfin trouver une chapelle romane primitive au fin fond de l'Aragon,
ou un cloitre gothique abandonné aux confins de la Castille, pour remplir des albums des photos en noir et blancs de chapiteaux et de sculptures,
ce qui nous paraissait alors un bien étrange loisir, sans lequel je ne serais peut-être pas ce que je suis aujouird'hui...
tous les jours au boulot, avec son costume en velours à côte vert foncé, que nous appelions son "costume de Babar", avant qu'il ne devienne notre risée,
puis -années 80 obligent- dans un costume gris à rayures...
pour nous conduire à l'école, surveillant l'heure sur le chemin de la messe et surtout, pour cuisiner le week-end, ce qui faisait sa fierté et notre joie...
mais toujours la remontant et la calant sur le signal du journal de 13 heures de France Inter,
aprés avoir immuablement écouté "le jeu des mille francs" en famille
puis lors des déménagements, des ballades en forêt, des fêtes familliales, des diners, des signatures de bulletin de notes le dimanche soir, des siestes du dimanche aprés-midi aprés un cognac dans le salon...
puis lors de ses premières visites à l'hopital, des scanners, des chimios...
puis elle a été mise de côté il y 18 ans, restant des années dans la table de nuit de ma mère...
où je l'ai récupérée il y a 4-5 ans, en la reportant pour lui redonner vie,
en la portant en alternance avec une GMT-like à quartz acheté en Thailande en 2000 et une autre petite vintage sans prétention
avant d'être contaminé par les montres, ce qui est un moindre mal
mais surtout par les forums, ce qui est bien pire...
épilogue.tout n'étant que Vanité, l'Omega peu portée dort depuis des années au coffre
coffre qui semble condamné à jamais et dans lequel j'imagine cette mystérieuse Suissesse
se piquer d'humidité, griper ses rouages et tacher son cadran, telle une Plymouth dans son sarcophage de béton...
et toujours fidèle au poste, pimpante, précise, cette vaillante petite Lip,
ne valant pas une révision, n'obtenant que de petits regards furtifs et entendus,
mais toujours sur la bréche, prenant la relève une génération aprés,
remontée au même "jeu des mille euros", emmenant ma fille à l'école...
...et de sortie pour écouter Portishead ce soir....