Il est marrant, le président. Il ne doute vraiment de rien. Je beau lui expliquer gentiment qu’il est cocu à ne plus pouvoir passer sous une porte cochère à quatre pattes et que ses abattis professionnels sont numérotés, pesés et exposés à l’étal, il continue son délire comme si de rien était. Berthier ci, Berthier ça... Comme s’il était encore le boss, avec ses tirades façon speaker de l’ORTF des années 1950 : « Mon petit Berthier, vous vous préparez une brillante situation dans la vie »… J’ai l’impression d’entendre mon grand oncle parler des lupanars d’avant guerre.
Et ma femme qui va encore me dire qu’il lui a passé un de ses coups de fils délirants où il imagine qu’il est son amant. « Il me dégoûte, je n’en peux plus : cette fois-ci j’appelle les flics ; j’en ai marre, marre, MARRE ! » Depuis qu’elle est enceinte, elle est très nerveuse. C’est vrai que ce vieux cleps répugnant qui lui tourne autour en la reniflant et l’appelle à la moindre occasion lui atteint le moral. On le serait à moins que ça.
Pauvre vieux président, c’est dur de vieillir, hein ? Bof, moi, j’en ai plus rien à foutre : j’ai fait mon possible et même au-delà. Sa femme et la famille sont au courant et me soutiennent à 100%. Elle m’a assuré que le professeur Glouglouian, le psychiatre de Sainte Anne qui suit son cas, était complètement au fait de la situation. Il souhaitait seulement que M. Mosbilo finisse par arriver de lui-même à la conclusion inéluctable : qu’il accepte de lâcher du lest et surtout d’entreprendre une cure de désintoxication alcoolique dans une maison de repos. Après, il sera temps de voir s’il n’est pas atteint d’une maladie neuro-dégénérative, comme nous soupçonnons tous.
En attendant, je gère. Les indicateurs sont revenus dans le vert. J’ai placé Morel à la direction commerciale et Ozendron aux finances, de bonnes choses, ça. L’action remonte gentiment, malgré l’avis de tempête sur la Bourse.
Bon, ça y est, il recommence à débloquer…
- "Mon petit Berthier, je vous installe dans mon bureau pour les vacances ! Mais si ! Je vous rapproche de moi, vous serez près du soleil, près du phare Berthier !… »
- Hmm, comment ? Les vacances ? Mais, oui, président, quelle bonne idée; c’est ça, partez en vacances. C’est important les vacances, hein ? Mais bien sûr, vous pouvez téléphoner : allez passer vos coups de fils dans le bureau des stagiaires, vous serez bien tranquille là-bas.
Franchement, tu parles d’un phare : belle lurette que l’ampoule est caramélisée…
Bon, je dois filer place Vendôme, moi. Ma Richard Lange est arrivée ! Youpi, pirlouit, etc. C’est con, je sais, mais il n’y pas de mal à se faire du bien et puis je pense l’avoir bien méritée, cette sympathique petite pièce. Mon fils me remerciera un jour, si le vieux ne me la fauche pas sur mon bureau pendant que j’ai le dos tourné. Il a beau ne porter que des swatchs en plastique noir, « c’est voleur comme une pie, cet animal-là ». Comme me disait récemment son épouse, une sainte femme.