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- Jean-Claude Biver : " Je suis un paresseux"
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Christian Bonzon
- Le patron des montres Hublot, sponsor du bateau «Alinghi» qui devrait se lancer dans l’America’s Cup dans une semaine, est un grand défenseur de la Suisse. Mais il n’a toujours pas son passeport
Christine Salvadé - le 30 janvier 2010,Le Matin Dimanche
Il court, Biver. N’en finit pas de courir à grandes enjambées vigoureuses. Cette semaine par exemple: Paris lundi, retour en soirée pour dîner avec son ami Pierre Keller. Mardi, conférence à Agrovina, le salon de la vigne et du vin à Martigny. Puis de nouveau Paris mercredi, retour en Suisse le soir même pour une soirée avec le Parti radical vaudois venu visiter la fabrique Hublot à Nyon… «Je continue? dimanche matin, je pars pour Shanghai, je reviens lundi. Mercredi, je m’envole pour New York et je rentre le lendemain! Pas de pyjama, pas d’hôtel, je dors et je me change dans l’avion!» Jean-Claude Biver n’oublie pas de mentionner sa tractation de la semaine: la reprise de quelque 50 horlogers de l’entreprise voisine BNB Concept, qui vient de faire faillite.
Quand d’autres ploient sous le poids des obligations professionnelles, le patron des montres Hublot exulte. Il considère chaque rendez-vous comme un cadeau. Pour Biver, la vie entière est une récompense.
Son moteur, la famille Une heure en face à face pour tenter de comprendre si l’homme correspond à son bouillonnant reflet médiatique. Il rit: «Je ne suis pas un acteur, je ne joue aucun rôle. L’image que je donne dans les médias me correspond, c’est comme ça que je fonctionne.»
La partie va donc être rude. Ça va se jouer au contre-la-montre – un comble pour un horloger fada de vélo.
Son moteur, dit-il, c’est la famille. Et son modèle, sa femme, Sandra, «qui se sacrifie pour la réussite des enfants». Sur son bureau, en fond d’écran, son fils lui sourit toute la journée et brandit un panneau: «Bonjour Papa, I love You».
L’enfance, corde sensible. Pour Jean-Claude Biver, ce temps béni ne s’est étrangement pas arrêté à l’âge de 10 ans, quand ses parents ont divorcé et qu’il a quitté le Luxembourg, son petit frère Marc à la main, pour entrer dans un internat de Saint-Prex (VD). «Je ne me souviens pas de cette souffrance», dit-il. Il ne retient que le côté formateur de l’expérience: «Cela a été une période révélatrice de mon caractère, j’ai été obligé de me prendre en main et je me suis senti responsable de mon frère. C’est à cet âge-là que je me suis senti un leader.» Biver n’en a jamais voulu à l’enfance. La plus belle preuve, c’est qu’il ne l’a jamais quittée.
«J’ai passé ma matu avec trois ans de retard» Comme pour excuser son incroyable réussite dans le monde horloger ses vingt dernières années (il remonte la marque Blancpain dans les années 80, dépoussière Omega dans les années 90 et fait de Hublot un modèle de reprise en main), Biver insiste sur ses années d’errance estudiantine. «J’ai passé ma matu avec trois ans de retard, je venais en voiture à l’école, les mères de mes copains croyaient que j’étais un prof!» Il plonge son regard acier sur ses grandes mains enfin jointes et il sort: «Au fond, je suis un paresseux.» On fait semblant de le croire.
«Si, si! C’est la passion de l’horlogerie qui m’a tiré de la paresse. J’ai beaucoup de compréhension pour les jeunes qui n’ont pas cette passion. J’ai dit à des étudiants en HEC récemment: «Vous êtes dans la plus belle salle d’attente du monde.»
Biver en est vite sortiAprès ses études universitaires, il s’est installé dans la vallée de Joux, au Brassus, pour se rapprocher de la nature, son alliée de toujours. Il donne des cours d’économie à l’Ecole d’horlogerie, puis entre en 1975 chez Audemars Piguet, où il passe dans tous les départements. Puis Omega, Blancpain, Omega encore, et enfin Hublot. Trente-cinq ans dans l’horlogerie, entraîné par la passion, à ne pas voir passer le temps.
Et aujourd’hui? Jean-Claude Biver marque un temps d’arrêt et avoue: «Je passe à une nouvelle phase de ma vie.» Ses 60 ans, fêtés l’an dernier aux environs de la traditionnelle descente de la poya qu’il organise en septembre, l’ont poussé à réfléchir à son avenir. «Je dois maintenant transformer mes objectifs: la transmission doit prendre le dessus sur la création. Ce n’est pas facile pour moi, j’ai toujours essayé de créer. Cet esprit doit rester dans l’entreprise, mais je dois davantage être en soutien de mes collaborateurs. Si l’entreprise se trouve mieux après moi, alors j’aurai réussi.»
«Je rêve de visiter la Suisse» Y a-t-il une vie pour Jean-Claude Biver après l’horlogerie? Il jure que oui, qu’il rêve de voyager: «Je vais en Chine tous les mois, mais je n’ai jamais vu la Grande Muraille.» L’endroit qu’il rêve de découvrir plus que tous les autres, c’est la Suisse. «J’aimerais aller à Lucerne au Musée des transports», dit-il les yeux ronds de plaisir. Pour peu, il battrait des mains.
La Suisse fait partie des amours de sa vie. Biver la défend et la promeut, s’extasie devant un «système politique qui fonctionne» et un tissu de formation exceptionnel. Ce mois de février à Valence, Hublot garnira la coque d’«Alinghi», le bateau 100% suisse de l’équipage Bertarelli. Biver se drape dans la croix… mais n’a toujours pas de passeport suisse. Le Luxembourgeois a fait sa demande de naturalisation il y a une année, et toujours rien! Que se passe-t-il? Lenteurs de l’administration? Jean-Claude Biver, pour la première fois en une heure, est pris au dépourvu: «Je n’ai toujours pas trouvé le temps d’aller chercher mon extrait de casier judiciaire à la poste pour obtenir ce passeport.» Paresseux, qu’il disait.
PROFIL
- Fonction Patron des montres Hublot
- Formation Licence HEC à Lausanne en 1973
- Etat civil Marié, père d’une famille recomposée de 5 enfants
- Age 60 ans
http://www.lematin.ch/actu/suisse/jean-claude-biver-paresseux-228720 |