Actu: Où sont les femmes ?

Contrairement aux hommes qui composent l'écrasante majorité des clients de l'horlogerie, elles s'intéressent petit à petit aux montres, mais pas encore au point de les collectionner.


On comprend que les femmes n'aient jamais eu vraiment envie de collectionner un produit qui ne leur était pas destiné, l'horlogerie restant, à l'instar de l'automobile, très centrée sur les désirs et les fantasmes des hommes. «La plupart des montres dames sont une insulte faite aux femmes !», s'emporte le président de Van Cleef & Arpels, Stanislas de Quercize. En effet, bon nombre d'horlogers continuent de leur proposer des modèles issus des collections masculines, simplement miniaturisés et dotés d'un mouvement à quartz.
Pourtant, il y a une quinzaine d'années, quelques pionnières ont pris le contre-pied de ce machisme horloger en s'appropriant des montres mécaniques masculines. «Cela a commencé au début des années 1990 avec la Pasha de Cartier», se souvient Carla Chalouhi, propriétaire des magasins Arije. Dès lors, les choses ont évolué. Les femmes ont commencé à s'intéresser aux rouages du temps. «Le monde de l'horlogerie s'est sexué peu à peu, avec des modèles très masculins d'une part, et des propositions très féminines de l'autre », note Cyrille Vigneron, directeur Europe de Cartier.
Il n'en reste pas moins que les femmes, en général, ne portent pas le même regard sur les montres que les hommes. «Au mieux, elles les considèrent comme un accessoire ; au pire, comme une aliénation, un objet métaphorique du temps qui passe», explique Laurent Picciotto, propriétaire de la boutique Chronopassion. Sans tomber dans des généralités simplificatrices, il faut tout de même reconnaître que les deux sexes n'entretiennent pas le même rapport aux objets et au temps. D'abord, parce que les femmes sont bien plus confrontées à la tentation, des sacs aux chaussures, en passant par les bijoux et les vêtements. Alors que, pendant longtemps, la montre était l'un des rares accessoires «autorisés» aux hommes grâce à sa symbolique forte. «À travers elle, ils défoulent leurs obsessions mécaniques. Ses rouages renvoient à l'organisation de l'univers sur lequel les hommes veulent exercer un contrôle», poursuit Cyrille Vigneron. Maîtriser le temps revient alors à maîtriser le monde. L'approche des femmes serait moins patrimoniale face aux objets. «La postérité matérielle leur est en effet assez étrangère, car leur postérité à elles passe par la maternité», souligne Laurent Picciotto.
Pour elles, pas besoin d'alibi



Dans leur rapport aux objets, ces dernières cherchent plus à jouir qu'à posséder. Du côté masculin, certains mordus reconnaissent volontiers que leur quête relève autant du jeu, presque enfantin, que de la volonté de maîtrise et de pouvoir sur les choses. Comme le souligne Jean Baudrillard dans le Système des objets : «La collection est chez l'enfant le mode le plus rudimentaire de maîtrise du monde extérieur : rangement, classement, manipulation. (…) La relation aux objets collectionnés est sécurisante.»
Au-delà du symbole, il convient de faire la distinction entre collection et accumulation. Les femmes appartiendraient davantage à la deuxième catégorie. Elles peuvent entasser dans leur penderie des centaines de stilettos ou de sacs à main, sans pour autant se définir comme collectionneuse, alors qu'un homme qui possède une petite dizaine de montres se considérera comme tel. La démarche est différente : la collection suppose une construction réfléchie et un lien établi entre les pièces, quand l'accumulation n'est qu'une succession d'objets qui s'ajoutent les uns aux autres. Ce n'est ni une question de valeur ni de prestige, mais une forme de traque différente. «Chez les hommes, la passion déclenche très souvent la collection, alors que les femmes s'avèrent moins rationnelles dans leur quête et ne cherchent pas nécessairement un lien entre chaque objet», note Thierry Castagna, créateur du site La Cote des montres. Les hommes seraient-ils plus raisonnables ? Non, mais ils éprouvent davantage le besoin de classer, d'organiser et, surtout, de trouver une justification intellectuelle à leur désir de possession. «Le harem est une invention masculine, fait remarquer Cyrille Vigneron. Cela n'empêche pas les femmes de pouvoir multiplier les conquêtes, mais elles n'ont jamais pensé à les organiser et les enfermer dans un lieu dédié…»