La Covid 19 a-t-elle bon dos ? Il n'est pas interdit de se poser la question. Le monde horloger a bien, trop bien sans doute, vécu de longues années, au moins depuis 2008 en multipliant les dépenses somptuaires. La manufacture Jaeger LeCoultre par exemple a quasiment doublé sa surface en prévision d'un accroissement d'activité et finalement aujourd'hui des ateliers sont fermés et les personnels clairsemés. Investissements immobiliers, dépenses de communication plus que somptuaires, choix de collections hasardeux, créations de mouvements dits in house qui n'apportaient rien, salaires exorbitants de dirigeants, ouvertures de boutiques ratées et non rentables, etc ... Les exemples foisonnent d'erreurs stratégiques, d'anomalies de gestion, de dépenses inutiles qui débouchent sur une fragilité économique qui pousse à revoir aujourd'hui les charges et à réduire les effectifs.
La crise Covid a sans doute une part de responsabilité mais la plus grande cause est que nombre de maisons ont surévalué leurs besoins et avaient trop de personnel. Les équipes marketing regorgent de managers, séniors, juniors autres qualificatifs "Digital, Press, Public, Community..." Il faut réunir 15 personnes pour battre un cil et tout cela était devenu étouffant et très onéreux. Les maisons ont avec la Covid un prétexte en or pour fonder la suppression de postes.
Les ventes vont moins bien, c'est certain, mais ce qui l'est moins est de déterminer si nous n'aurions pas connu le même effet ciseau en l'absence de crise sanitaire. Rien n'est moins sur. Si avec 25% des effectifs en moins, une marque produit les mêmes montres dans les mêmes volumes avec le même niveau de qualité qu'avant, c'est que la Covid 19 est la meilleure leçon de contrôle de gestion de tous les temps. L'horlogerie suisse avait besoin de flexibilité de ressources humaines et ne va pas se priver de la mettre en œuvre.
Drôle de paradoxe de clamer dans la presse que tout va bien et que les ventes reprennent et dans le même temps de travailler sur des plans sociaux fondés sur la mévente en période de crise sanitaire. La même voix qui tient les deux discours à quelques jours près relève de la schizophrénie. Le journaliste entend une voix encourageante et les syndicats suivent une voie sans issue. Le public assiste sans comprendre. Il développe un rêve horloger sur un nouveau modèle mais apprend que la marque dont il a repéré le modèle doit licencier pour survivre. Il s'interroge légitimement sur ce qu'il adviendrait s'il achetait une montre d'une marque pilotée par un patron schizophrène qui souffle le chaud de fond et le froid de coté. C'est vrai que tout cela n'est ni rassurant, ni engageant pour l'avenir.
Les grandes maisons vont forcément passer par des plans sociaux et tant que la Covid n'est pas vaccinable, les maisons horlogères comme les autres seront soit en voie d'ajustement des ressources aux besoins, soit en période de vaches maigres. Les grandes marques propriétés de grands groupes y survivront , les indépendants un peu moins. Il va falloir serrer les dents encore 9 mois au moins. Heureusement que le masque est de rigueur, on verrait rire jaune plus d'un dirigeant de marque.
Pour le moment, c'est le début de la faim, cette période où on dégraisse et où on passe au régime sans gras. On va pleurer chez les frontaliers et dans les personnels...
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).