Moins attaché aux objets qu'aux gens, pas collectionneur vraiment et davantage accumulateur, j'entasse ici et là certaines montres, celle de mes premières brocantes dans un carton à chaussures, celles de mes années d'étudiants dans une boite en plastique et celle de valeur dans un coffre à la banque.
Un jour, sans savoir pourquoi on se prend à l'envie d'ouvrir des boites qu'on n'a pas explorées depuis longtemps. Des boites qui ont abrité ses vieilles montres, ces trucs qu'on portait à 20 ans et qu'on a caché parce que marquant des années où on se trouvait trop jeune. A 20 ans on fuit son adolescence ... Les objets , on les range ou on les perd.
Dans cette boite hermétique, je n'avais plus vraiment l'idée de ce que j'y avais mis. Et pour cause , elle était rangée au milieu de rien dans le bas d'un placard, dans ces endroits qu'on ne dérange jamais parce que le tas qui est au dessus est en équilibre bien trop instable pour autoriser le moindre mouvement.
La boite donc, sortie de son oubli, ouverte en se demandant ce qu'elle cache et la surprise de retrouver intacts cet anneau en argent avec le prénom d'une fille à qui on a juré les yeux dans les yeux l'amour éternel et cette montre qui forcément a marqué des années...
Dès mes dix ans j'ai porté une Omega. allez savoir pourquoi , je l'ai abandonnée quand en première année de fac , devant la vitrine d'un magasin aujourd'hui disparu où était exposées des Breguet, rien que ça, je me suis mis à rêver.
Plein de culot, avec la fille de l'anneau, j'avais franchi la porte de la boutique et sans rire, demandé à voir en Jean-baskets ces Breguet... 20 ans je vous dis, pas un sous sur le livret de Caisse d'Epargne, une fille au regard perçant tenue par la main et une dame, d'un âge avancé qui nous avait accueuillis comme des clients importants et fait essayer des montres Breguet dont elle savait évidemment qu'on n'en seraient pas acheteurs.
Le catalogue reçu ce jour là, je l'ai toujours... C'est à peine croyable, je l'ai retrouvé, j'ai remis aussi la main sur un album photos de l'époque et puis sur la montre que j'avais reçue en cadeau de celle qui avait vu briller dans mon oeil l'envie de porter une Breguet.
La montre était une bète montre à quartz, elle ressemblait à une Breguet avec ce cadran argent guilloché et ces aiguilles pommes. En reprenant la montre dans la main, tout est remonté ... Les parfums, les conversations, les projets, les certitudes, les repas avec les amis, les souvenirs ...
Le temps a tout déchiré, les promesses sont devenues des leurres, les conversations se sont envolées, les parfums ont été remplacés et les certitudes ne se sont pas vérifiées. Des amis, il ne reste pas grand chose entre ceux arrachés à la vie, ceux qui sont partis sans laisser d'adresse et ceux qu'on a soi-même oubliés.
Les promesses d'amour éternel, elles aussi se sont envolées mais les objets plus fidèles que les gens sont restés là, cachés dans cette boite.
Pas une seconde de regret sur ce destin tracé mais juste un souvenir que je croyais effacé de ma mémoire , un souvenir que l'objet horloger a réveillé comme un décodeur aurait capté une pensée cachée.
On n'est pas si loin de la madeleine de Proust. Je ne sais pas s'il faut garder ses vieilles montres mais je sais qu'un cadeau acheté avec amour et offert avec tendresse marque éternellement celui qui le reçoit de son passage.