Comme beaucoup d'entre nous, j'ai reçu étant enfant un couteau à l'âge de 10 ans (ou presque) , l'un de ces couteaux rouges avec la croix Suisse et plusieurs outils, un
Victorinox. A l'époque, le couteau était vendu sans boîte individuelle mais avec un petit dépliant à la fois mode d'emploi et prospectus pour présenter la firme qui le fabriquait. La fabrique, la montagne enneigée en fond et quelques mots sur le couteau présenté comme un objet précieux, ce qu'il devint vite entre mes mains.
Impossible de quitter son
Victorinox. De la version minimum à une lame au Swiss camp, la gamme appelait l'esprit collectionneur des gamins à multiplier les couteaux et leurs variantes. Adulte, nul ne se sépare de son
Victorinox. Je n'ai jamais pu trancher entre le
Victorinox et le Laguiole et depuis les années 80, époque de relance du Laguiole, je porte les deux. Le Laguiole pour les repas et le
Victorinox pour tout, de l'ouverture des montres de poche au dépannage de n'importe quoi grâce au tournevis.
J'ai dû, enfant, lire 1000 fois le dépliant et rêver d'aller un jour me placer devant cette usine. Les années passérent et rien ne me fit me séparer de mes
Victorinox, mis à part les réglements draconiens de l'aviation civile. Un jour, en visite au Sénat pour une réunion de travail, je suis même passé par les portiques de sécurité en oubliant le couteau dans ma poche et ...le détecteur ne sonna point.
Il y a quelques mois, retrouvant un carton de mes années de jeunesse, j'ai remis la main sur mon plus vieux
Victorinox. Un couteau qui avait bien souffert et auquel j'ai remis des côtes neuves en plastique rouge, des côtes qui lui ont redonné une seconde jeunesse. L'envie de l'enfant pour une visite de l'usine est alors remontée à la surface...
Et si j'osais demander à visiter ? Je me suis permis à tout hasard de solliciter cette ouverture exceptionnelle des portes de
Victorinox et alors que la manufacture (car c'est une vraie manufacture) est totalement fermée au public, ce qui est logique car c'est une entreprise non aménagée pour ce type de visite, on m'a gentiment invité à venir faire cette découverte privée et exceptionnelle. C'est Madame Elsener en personne, en droite ligne familiale avec Karl Elsener, le fondateur de
Victorinox qui m'a reçu. Ensuite ce fut la découverte de l'usine, une usine où l'on travaille 250 tonnes d'acier par an et où l'on fabrique entre autres 20 000 couteaux pliants par jour. L'acier est commandé en France, les tire-bouchons viennent aussi de France en majorité.
250 tonnes d'acier en provenance de France sont travaillés chaque année par
VictorinoxLes rouleaux d'acier servent à fabriquer les lames et les platines.
Les lames sont étampées à une vitesse vertigineuse
Elles devront encore être trempées et passer par l'émouture
Les pièces des pinces suivent le même chemin que les autres pièces
L'assemblage manuel demande une dextérité et une réactivité excellentes
Les ouvre-boîtes
La fabrication des pinces
L'ébarbage est l'opération qui sert à retirer toutes les limailles excédentaires
Victorinox a fait du développement durable avant tout le monde et récupére ses limailles en les compactant
Application des plaquettes et contrôle final
Une technologie et un contrôle qualité bluffant tout au long de la fabrication font de chaque couteau une petite merveille de technologie en apparence simple et pourtant construit avec un outil industriel sophistiqué. 800 personnes travaillent pour
Victorinox. Pourtant, la manufacture possède une chaîne entièrement automatisée de production avec peu d'intervention humaine mais pour respecter la philosophie du fondateur, cette chaîne ne sert que de variable d'ajustement à la production en cas de tros grosses commandes. C'est la main de l'homme qui, un étage en dessous, au rez de chaussée de la bâtisse, assemble une grande partie des couteaux. Pudiquement, la manufacture précise qu'il ne serait pas rentable pour des petites séries d'automatiser la production mais la réalité est que la manufacture veut préserver les emplois dans la vallée. C'est là une logique industrielle humaine, généreuse et intelligente qui place l'humain comme valeur fondamentale. De quoi aimer davantage cette maison.
Les attentats de 2001 eurent pour la manufacture de couteaux des conséquences immenses. Les derniers achats des voyageurs pour se débarrasser de leur monnaie avant de prendre l'avion, ne pouvaient plus être des couteaux puisque ces derniers étaient interdits à bord.
Victorinox, qui produit par ailleurs des montres depuis 23 ans essentiellement diffusées aux USA, a dû se diversifier et proposer toutes ses gammes de produits un peu partout. Pas question de se décourager. Ligne de vêtement, bagages, parfumerie et cosmétiques sont venus accompagner les couteaux et les montres. Cinq divisions au total structurées au sein de la firme donnent à
Victorinox une force de frappe dans 120 pays du monde !
Victorinox produit 500 000 montres par an, ce qui est énorme et globalement chaque année 38 millions d'objets sont fabriqués par
Victorinox toutes disciplines confondues. La branche horlogerie est à Bienne et le reste des produits à Ibach. Je suis passé par Bienne où
Victorinox gére ses collections. Evidemment les montres sont vendues de 350 à 2000/2500 euros, une collection accessible au plus grand nombre dans l'éthique de la maison ... Des montres mécaniques ou à quartz qui offrent des fonctions que seules des montres électroniques peuvent proposer comme cette montre dotée d'une petite lampe de secours très prisée des Japonais à cause des tremblements de terre et de l'obligation qui leur est faite de porter un objet permettant d'envoyer un signal lumineux. La ligne Swiss Army, véritable marque sous laquelle est connue
Victorinox outre-Atlantique est un modèle d'intelligence au plan de la lisiblité et de l'efficacité de la lecture de l'heure.
Les bagages Je retiens aussi de mon déplacement la ligne de bagages tellement bien pensée avec par exemple une housse qui permet de ne pas totalement déballer son ordinateur lors des passages à la frontière en cas de voyage par avion. Le sac à dos est un modèle du genre et la valise en composite plus légére et 200 dollars moins cher que sa concurrente directe (Samsonite) est aussi une idée géniale. Voici comment parti du couteau, je suis tombé en réelle sympathie avec tous les produits de la marque.
Les fragances J'ai posé une question : Et Mac Giver ? Sponsorisé ou hasard de production ... A ma grande surprise, rien n'a été sponsorisé et cette série n'a rien coûté à
Victorinox qui s'est ainsi sans doute offert la meilleure publicité dans le monde entier.
Je pensais déjà à repartir après 4 heures passées au fin du fin et puis, on m'a annoncé une surprise ! Et pour une surprise , ce fut une vraie surprise puisqu'on me proposa de fabriquer mon couteau moi-même... La même configuration que mon couteau de gamin ... 2 lames, ouvre boite, tournevis, tire bouchon et poinçon... Le mieux est que j'ai réussi ! Celui-là est dans mon jardin secret ...
Victorinox propose dans ses plus grandes boutiques de fabriquer son couteau. Un compagnon pour la vie !
Voilà, comme le chantait Alain Souchon, J'ai dix ans ... Et
Victorinox m'a fait replonger dans mes dix ans, dans mes rêves de gamin qui n'imaginait pas tant de choses... Voir cette fameuse usine
Victorinox fut sans doute l'un des premiers rêves... Si on m'avait dit qu'un jour, madame Elsener en personne me recevrait et que les cadres de la maison me donnerait de leur temps ... Je tiens ici à les remercier. Comme beaucoup j'ai fait tant de choses avec ces couteaux qu'ils sont partout, tout au long de ma vie. Evidemment je n'ai pas désamorcé une bombe atomique sur laquelle j'aurais été assis mais il m'est arrivé un jour de couper in extrémis une sangle dans laquelle l'un de mes enfants s'était mis dans une mauvaise posture. La pince m'a évité plusieurs fois, à moi et plusieurs de mes proches de subir les conséquences des piqures de guêpes, j'ai aussi ouvert des courriers tristes ou gais, de manière définitive...
J'ai tout particulièrement aujourd'hui cette nostalgie de ce premier couteau, acheté par ma mère sur ma pression insistante et son propos en me le tendant, "J'espère que je ne fais pas une énorme bêtise et que tu ne te couperas pas..." Ma mère était jeune. Quelques couteaux plus tard, elle m'a demandé pourquoi j'en accumulais autant ... 40 ans plus tard, ma chère femme me pose la même question et ma réponse est invariablement la même. "Je ne sais pas, j'aime ça".