Cela se passe un 24 décembre. Il est un peu plus de 21 heures et toute la famille Modoit est à table pour fêter le réveillon en attendant le père noël. Le centre du monde est ce soir, Philippe, le plus jeune des Modoit qui fête ses 4 ans et attend le père Noël avec impatience. Comme on lui a expliqué qu'il ne se passerait rien avant la messe de minuit, le jeune Modoit est très énervé et joue caché sous une table qui fait office de desserte à madame Modoit qui reçoit son beau-frère Gérard Modoit, garagiste concessionnaire Simca et sa belle-soeur, Juliette Modoit infirmière ainsi que madame Modoit mère, sa belle-mère. Ce Noël 1954 devrait être le dernier dans cette maison car madame Modoit attend un second enfant et son mari médecin voudrait bien ouvrir son cabinet dans la maison qu'il habiterait afin d'être plus proche de sa famille.
La maîtresse de maison apporte la dinde sous les applaudissements et la grand-mère présente explique que de son temps, on apportait un poulet faute d'avoir les moyens de choisir une dinde. On parle fort, les lumières sont allumées partout dans la maison et dehors il fait si froid que les vitres de la salle à manger laissent apparaître une couche de glace .
Il n'est pas 21heures 10 quand on sonne à la porte. Madame Mondoit se précipite et voit derrière la vitre de la porte d'entrée deux képis de gendarmes.
-Bonsoir Madame , est-ce que le docteur est là ?
-Oui mais que se passe-t-il ?
-Nous allons avoir besoin de lui ...
-Le soir de noël ? Chéri ? Ce sont les gendarmes pour toi ...
Le docteur serviette de table autour du cou se présente à la porte .
-Bonsoir docteur. Nous sommes désolés de vous déranger mais à la ferme des Poudorlier, c'est la panique. La dame ...
-Oui, je la connais c'est une patiente .
-Et bien, elle est tombée dans l'escalier et elle semble être mal en point et elle perd les eaux ...
-Oui, elle est enceinte de 7,5 mois . Je viens tout de suite, je prends ma voiture.
-Non, ça ne circule pas avec cette neige, venez avec nous, nous avons un fourgon avec des pneux à clous.
Le temps de prendre sa sacoche et voilà le docteur Modoit embarqué avec les gendarmes. Après 20 minutes de trajet pour faire 1 kilomètre, le médecin arrive et trouve la femme inconsciente remontée dans son lit et la famille autour d'elle en quasi prostration.
-Faites bouillir de l'eau et donnez moi des serviettes, faites du feu dans la cheminée et que l'une d'entre vous me porte assistance. Depuis quelle heure est-elle ainsi ?
-Deux heures ...
-Diable je n'entends pas le bébé...
Le docteur sort sa montre de poche pour prendre le pouls de la jeune femme mais celui-ci très lent ne lui inspire aucun sentiment positif.
-Vous allez les sauver docteur ?
-Je ne sais pas.
Le médecin entame alors une course contre la montre pour préparer un accouchement qu'il va devoir pratiquer sans moyens, à domicile et sans grande habitude car il n'a dans sa courte carrière, pratiqué que deux accouchements lorsqu'il était interne à l'hôpital de Soissons. L'nconscience de la mère complique singulièrement la tâche. Sans paniquer, le docteur se met au travail et après une heure fait naître le bébé inerte et de couleur quasi bleue. Le saisissant alors par les pieds, il lui applique une tape dans le dos, le réchauffe avec les serviettes jusqu'au moment ou l'enfant se met à hurler.
-Rapprochez-le du feu et maintenez sa température. Je dois m'occuper de la mère. Elle a perdu beaucoup de sang.
Le docteur reprend sa montre de poche et tenant le poignet de la jeune femme, dit à la femme qui l'assiste :
-Je crois que ce sera très difficile.
Sans perdre espoir, il masse la jeune femme et tente de la réchauffer en lui appliquant de l'alcool sur le corps. Il la frictionne puis lui applique des serviettes chaudes pour remonter la température. Hélas, rien ne la ramène au réveil. Le médecin n'abandonne pourtant pas, il se bat deux heures durant pour donner à cette femme une chance de vivre. Il est sur le point d'abandonner quand, tourné vers sa sacoche, il entend la jeune femme lui demander le sexe du bébé. Sauvée, elle est sauvée ! Elle est très faible mais en vie. Il est 1 heure trente du matin. Remercié par la famille, il repart avec les gendarmes repus parce qu'ils ont fait leur repas au sein de la ferme.
Lorsqu'il arrive chez lui, il est deux heures. Tout le monde est couché. Au pied du sapin, les cadeaux sont absents parce qu'on a sûrement décidé de l'attendre. Sur la pointe des pieds, il ouvre donc la porte du placard et sort un à un les cadeaux de Noël pour que tout le monde les découvre au lever. Il a à peine posé le dernier cadeau qu'une petite voix, celle de son fils caché sous la table, lui dit "Comment as-tu deviné que le père Noël avait mis les cadeaux dans le placard ? "
Le docteur Modoit surpris ne sait que répondre.
-Tu sais papa, je n'ai rien dit à personne pour ne pas gâcher la fête mais en plus, il s'est trompé de jour car les cadeaux sont là depuis la semaine dernière"
-Et que faisais-tu caché sous la table ?
-J'espérais qu'il repasserait car j'ai vu qu'il m'avait mis un train électrique bleu alors que je voulais le vert. Mais alors comment avais-tu deviné ?
-Et bien comme toi, j'avais ouvert le placard et vu les paquets.
-Bon, on ne dira rien à personne sinon ils vont être si furieux qu'ils vont lui écrire et je ne voudrais pas qu'il nous oublie l'an prochain.
-Tu as raison Philippe. Allez, au lit !
-Tout le monde s'est couché et maman a dit que tu n'étais pas marrant avec tes patients tout le temps...
-Oui je sais ...
-Grand-mère a dit que tu étais égoïste !
-Vas dormir !
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).