Comment se construisent les catalogues de ventes publiques ?
A l'occasion d'un autre sujet j'ai osé évoquer la manière dont se construisent certains catalogues de ventes publiques. Mon propos est général et je ne mentionnerai aucune maison en particulier, et mon propos est particulier, car peu ne sont pas concernées.
Il faut d'abord trouver les produits à vendre. Les collectionneurs dotés de beaucoup de pièces sont une aubaine surtout s'ils sont connus. Les pièces sont rassemblées si ce n'est déjà fait et l'objectif est de trouver une certaine homogénéité du catalogue de la vente à venir. Jusque là rien d'anormal. Il faut ensuite trouver des pièces phares qui vont porter la communication de la vente. Une très belle Patek ou une Rolex qui a appartenu à X ou Y est un gage de notoriété.
Une fois les pièces rassemblées, il faut écrire le catalogue. Dans les maisons d'enchères, les bons salaires sont au haut management, pour le reste on stagiairise beaucoup, cela signifie qu'on paie peu ou pas du tout et que c'est une grâce accordée que de pouvoir venir travailler pour la maison d'enchères.
Il va donc falloir bâtir le catalogue et là on confie le travail à une stagiaire. Mais qui est donc stagiaire ? Ah ! L'univers des stagiaires de maisons d'enchères, la langue peut fourcher, attention, ne dites pas maisons d'enfers car avouons-le, ces stagiaires vivent souvent un enfer. On leur demande à partir de rien et surtout pas de leurs propres connaissances de bâtir un catalogue dont pourra être justifiée l'origine des informations.
Les stagiaires ont des profils divers " Diplôme d'histoire de l'art, école du luxe, formation de gemmologie, archéologie, fellationnologie" car oui, il faut parfois coucher...mais ça c'est une autre histoire et un tabou absolu dans le milieu"
Nos stagiaires vont donc se mettre en quête d'informations et Google sera leur premier soutien, on va y pomper des liens et ensuite recopier/coller des sites sans vergogne. Ensuite, nos stagiaires vont rechercher dans d'anciens catalogues eux-mêmes bâtis à partir de catalogues de ventes antérieures. En 3 ou 4 générations de catalogues, une ânerie devient une vérité historique d'autant que nombre d'historiens puisent eux-mêmes dans ces catalogues pour produire des livres approximatifs plus faciles à écrire ainsi qu'en allant se plonger dans les archives d'une marque.
C'est ce qu'on pourrait appeler une sorte de "vérité augmentée", une supposition faite en 1970 par un auteur isolé devient en 2018, une vérité historique sourcée bien connue. Nombre de marques ont vu ainsi bâtie leur histoire et les légendes qui l'accompagnent. Comme un fond de veau en cuisine ouvre les portes d'une sauce mémorable, un fond de vérité permet en horlogerie de créer une daube historique. La crédulité fait le reste avec la persuasion portée par le commissaire priseur dont la compétence ne sera jamais contestée. De fait, les sources de son catalogue ne sont pas plus mauvaises que les précédentes et un expert viendra sans peine confirmer le bien-fondé du contenu (cf
https://forumamontres.forumactif.com/t228319-les-experts-un-contrle-des-naissances-s-impose-billet?highlight=experts )
Notre stagiaire pourra faire le catalogue de la vente de Hong Kong ou Saint Gars Pour (Singapour) en étant basée à Londres ou Genève. La base du métier est de ne pas avoir froid aux yeux et de pouvoir plier l'histoire pour qu'elle serve la vente. Sous l'aspect d'une richesse extrême, ces catalogues dissimulent une misère historique grâce à un emballement sur des anecdotes qui vont éclairer la vente. Le problème est que la mayonnaise prend un peu moins aujourd'hui qu'il y a 10 ans car le consommateur n'y croit plus vraiment et le bougre compare avec des sites de montres d'occasion. Il voit alors que la même montre est moins chère ailleurs ! Mieux, il peut retrouver neuve une montre sur un site de ventes privées avec 20 ou 25 % de moins que dans la vente publique dont l'évaluation s'est basée sur le prix du catalogue de la marque.
La réalité augmentée des ventes publiques finira par devenir un sujet d'étude des écoles de commerce tant les choses sont devenues caricaturales... Comme une bonne partie de la presse a pour amis des commissaires priseurs, le sujet reste très confidentiel bien sûr mais je vous fais confiance pour n'en parler à personne.