Quand l'US Navy a testé un chronomètre français
On ne comptabilise pas les ébauches Lecoultre qui ont équipé les montres de pratiquement toutes les marques soit pour des pièces à complication, soit pour des simples montres 3 aiguilles et parfois des chronomètres un peu spéciaux. Omega, par exemple, fabriquait ses montres à répétition sur la base d'ébauches LeCoultre.
LeCoultre vendit ainsi à une maison française certaines ébauches de 21 rubis. Il s'agissait de précieux chronomètres que les assembleurs soumettaient parfois à des concours quand Lecoultre ne pratiquait pas lui-même l'épreuve des concours de réglage, on ne dit pas encore "Chronométrie", et contribuait ainsi à la notoriété de plusieurs fabricants. Les mouvements ainsi soumis aux tests des Observatoires pouvaient subir des épreuves en Suisse à Neuchâtel ou Genève mais aussi parfois à Kew-Teddington près de Londres ou encore à l'Observatoire Naval de Washington.
Les Américains prêtaient une très grande attention à ces montres car ils recherchaient pour les navires de leur marine militaire, des chronomètres de bord plus faciles à manipuler que les imposants chronomètres de marine montés sur cardans dans leurs caissons de bois. Les chronomètres de poche ou de bord des manufactures américaines n'ont pas encore, avant 1913, acquis la précision exigée des militaires.
Les montres elles-mêmes nous renseignent sur leur histoire. Celle-ci, par exemple, fut livrée aux tests et épreuves de l'Observatoire de Washington et le N entouré d'un O qui précède le numéro d'inventaire renvoie à l'Observatoire de la Navy. C'est donc après avoir été emboitée par E Lefebvre, galerie Montpensier au Palais Royal, à Paris, que la montre fut expédiée aux Etats-Unis puis remise à l'US Navy.
Jaeger Lecoultre fit l'acquisition de cette pièce historique pour un peu plus de 12 000 dollars, il y a quelques années, et la rapatria dans sa collection en Suisse.
Le marchand qui la possédait (http://www.bogoff.com/pocket/5793.html) indique (traduction) :
- Citation :
- Ce chronomètre historiquement important est l'un des premiers d'un groupe de six montres torpilleurs achetées par la marine américaine le 31 mars 1899. Lefebvre avait fourni des montres à la Marine française et ces montres avaient passé les normes du chronomètre du bureau hydrographique français avant d'être offertes à la Marine des États-Unis où elles furent ensuite testées à l'Observatoire naval de Washington DC et à bord de deux torpilleurs américains : l'USS McKinsie et l'USS Winslow. Ces montres ont été réglées avec un haut degré de précision et testées attentivement avant d'être mises en service. Le n ° 1095 a ensuite été assigné à l'USS Cushing, le plus ancien bateau torpilleur dans la flotte US qui a servi dans la guerre hispano-américaine et sur la côte atlantique jusqu'à la Première Guerre mondiale.
La montre comprend un nombre important de documents obtenus auprès des Archives nationales, y compris des copies du contrat d'achat préliminaire, la facture originale indiquant le numéro de série de la montre, les résultats des tests de l'Observatoire naval américain, un document de transfert du chantier Naval Norfolk indiquant l'attribution de la montre au Cushing, une photographie du Cushing avec un synopsis de l'histoire, les discussions avec les restaurateurs et les conservateurs des principaux musées navals et nautiques à travers le pays. Le Smithsonian et Greenwich indiquent que c'est probablement le seul exemple survivant de ces montres chronomètres originales achetées par la Marine.
Le mouvement est d'une redoutable qualité. Sa roue de Rocher et la roue de barillet sont à dents de loup. C'est plus qu'un excellent chronomètre, une perle rare dans cette série particulière, dont les roues précitées sont sablées de manière très exceptionnelle. Ce mouvement était sorti de chez LeCoultre dans cet état de finition. Il est rare de retrouver autant de documentation sur une montre mais l'US Navy est très bien documentée.
Cette montre a une fantastique histoire. Je ne serai pas aussi pessimiste que les conservateurs de musées interrogés sur le fait qu'il ne reste qu'une seule montre de cette série de six. Les recherches approfondies finissent souvent par s'avérer fructueuses.
L'histoire de ce chronomètre historique est singulière. On sait pourquoi Lecoultre ne fut finalement pas retenu malgré cette excellente montre présentée par un français. Ce n'est nullement pour une raison technique ni un quelconque défaut de qualité de l'ébauche mais beaucoup plus simplement par une raison liée à la taille de la montre. Son diamètre d'à peine 50 mm ne la distinguait pas des chronomètres de bord que la Navy souhaitait de grande taille pour favoriser une lisibilité sans erreur.
Le test réalisé par la Navy se situe à la toute fin du 19ème siècle et les manufactures américaines d'horlogerie n'ont pas encore protesté auprès du gouvernement américain contre les importations de pièces d'horlogerie suisse fabriquées, d'après les syndicats ouvriers américains, "par des horlogers non syndiqués".
Ce lobby poussera le président Roosevelt à lancer un appel d'offres en 1904 et à créer une catégorie spécifique de concours, auprès de l'Observatoire Naval de Washington, en faveur des Torpedo Boat Watches. Le premier concours aura lieu en 1905 et c'est finalement Ulysse Nardin qui sur 11 montres sélectionnées remportera les 10 premiers prix. L'histoire se met ainsi en marche et fera d'Ulysse Nardin, le fournisseur officiel de l'US Navy. Lecoultre conserve malgré tout le privilège d'avoir été l'un des tout premiers à équiper la Marine américaine.
Droits Réservés - Joël Duval - Forumamontres - Avril 2020