Don Guritan, avec gravité.
En mille six cent cinquante,
J’étais très-amoureux. J’habitais Alicante.
Un jeune homme, bien fait, beau comme les amours,
Regardait de fort près ma maîtresse, et toujours
Passait sous son balcon, devant la cathédrale,
Plus fier qu’un capitan sur la barque amirale.
Il avait nom Vasquez, seigneur, quoique bâtard.
Je le tuai. —

Vers l’an soixante-six, plus tard,
Gil, comte d’Iscola, cavalier magnifique,
Envoya chez ma belle, appelée Angélique,
Avec un billet doux, qu’elle me présenta,
Un esclave nommé Grifel de Viserta.
Je fis tuer l’esclave et je tuai le maître.

Ruy Blas.
Monsieur !…
Don Guritan, poursuivant.
Plus tard, vers l’an quatre-vingt, je crus être
Trompé par ma beauté, fille aux tendres façons,
Pour Tirso Gamonal, un de ces beaux garçons
Dont le visage altier et charmant s’accommode
D’un panache éclatant. C’est l’époque où la mode
Était qu’on fît ferrer ses mules en or fin.
Je tuai don Tirso Gamonal.
Ruy Blas.
Mais enfin
Que veut dire cela, monsieur ?
Don Guritan.
Cela veut dire,
Comte, qu’il sort de l’eau du puits quand on en tire ;
Que le soleil se lève à quatre heures demain ;
Qu’il est un lieu désert et loin de tout chemin,
Commode aux gens de cœur, derrière la chapelle ;
Qu’on vous nomme, je crois, César, et qu’on m’appelle
Don Gaspar Guritan Tassis y Guevarra,
Comte d’Onate.
Ruy Blas, froidement.
Bien, monsieur. On y sera.


.....
Don Guritan, toujours imperturbable.
En vos études,
S’il vous plaît de connaître un peu mes habitudes,
Pour votre instruction, monsieur, je vous dirai
Que je n’ai jamais eu qu’un goût fort modéré
Pour ces godelureaux, grands friseurs de moustache,
Beaux damerets sur qui l’œil des femmes s’attache,
Qui sont tantôt plaintifs et tantôt radieux,
Et qui, dans les maisons, faisant force clins d’yeux
Prenant sur les fauteuils d’adorables tournures,
Viennent s’évanouir pour des égratignures.
Ruy Blas.
Mais — je ne comprends pas.
Don Guritan.