Réflexions à destination des marques et des bien-comprenants
Quelle reprise ? Les marques nous évoquent une "reprise" et le mot est dans toutes les bouches non occupées à mâcher les petits fours des cocktails plus rares et moins riches qu'il y a encore 2 ou 3 ans. Cette reprise s'accompagne d'un constat qui évalue la baisse d'intérêt des clients pour des montres qui finissent toutes par se ressembler et ont un air de déjà vu, à cette différence près que le marché de l'occasion regorge de montres de moins de 5 ans très proches des nouveautés à moins de la moitié du prix.
Le client est devenu méfiant, regardant la vraie valeur des montres et leur intérêt mécanique ou leur valeur de revente. Bien sûr, il existe encore une clientèle pour laquelle 10 000 euros ou plus ne constituent qu'une dépense courante mais même cette clientèle se demande si la montre n'est pas ringarde. Echaudés par l'expérience Panerai, montres autrefois à la mode et aujourd'hui tellement marquées qu'elles peinent sur le marché de l'occasion, les clients aisés n'ont plus d'yeux que pour des maisons "sûres" qui se comptent sur les doigts.
Pour les autres marques, c'est à la rame qu'il faut aller chercher le client. Celui-ci trouve pour quelques centaines d'euros son bonheur sans risque de ringardise avec les smart Watch et en particulier les Apple Watch que le milieu horloger suisse tente vainement de discréditer en oubliant qu'Apple vend plus de montres que toutes les marques horlogères suisses réunies. Quel échec !
Comment entrer en contact avec les clients Les marchés salvateurs ou tout au moins ceux perçus comme tels sont aujourd'hui les marchés chinois et américains. Ambassadeurs chinois, jeunes artistes totalement inconnus ici mais qui vendent 20 à 40 fois plus que le meilleur des artistes français ou suisses, rappeurs américains superstars d'une Amérique qui a réussi à élire Donald Trump, sportifs tatoués des pieds à la tête, le seul frein est l'implication dans des affaires de sexe et d'escroquerie pour entrer dans les catalogues d'ambassadeurs potentiels avec espace d'affichage disponible.
Entrer en contact avec des clients devenus sourds aux messages classiques de la communication horlogères n'est pas une mince affaire. Les jeunes Chinois ressemblent de plus en plus quant à leurs centres d'intérêt, aux jeunes Américains. Les clients plus âgés restent différents et le message unique multi-diffusé n'est plus une solution. Il faut parler à chacun et s'adapter à chaque génération. Les séries limitées sont dorénavant une sorte de fatalité horlogère. Les marques répondent à une demande ciblée avec en accompagnement une communication adaptée. Ce qui plaît sur un continent est perçu hideux sur un autre et inversement. Les micros-évènements organisés pour tel marché et relatés sur les réseaux sociaux accessibles au reste du monde donnent une image de plus en plus décalée des marques pour des montres auxquelles de toutes les manières, tout le monde n'aura pas accès.
La dure condition des CEOLe CEO amateur de musique de variété en Chine posant devant un panneau publicitaire de sa marque se retrouve 48 heures plus tard virilement enlacé à un rappeur noir américain de 170 kilos aux Etats-Unis et en nœud papillon à la soirée du grand-Prix de Genève une semaine plus tard. Parler à tout le monde va rapidement rejoindre la quadrature du cercle. Il faudra de plus en plus être partout en même temps et les CEO sont les nouveaux esclaves des groupes financiers actionnaires des marques comme les routiers le sont pour les transporteurs. Le sacrifice de la vie de couple, de la vie de famille fait partie du deal et le groupe actionnaire se réfugie derrière l'ampleur du salaire pour couvrir son défaut d'humanité. Les responsables marketing, les attachés de presse, les CEO et finalement presque tous les cadres sont traités comme des chiens et personne n'a vraiment de solution pour parler à ces 2 marchés asiatique et américain de manière coordonnée, cohérente et qui préserve tout le monde dans la durée.
Il y a pourtant des points communs inattendus entre les Chinois et les Américains. Les nouvelles générations sont plutôt disciplinées et plus antimilitaristes et en tous les cas, considèrent que le passé militaire des marques est une chose positive, une forme de virilisation de l'objet qui lui donne légitimité et surpasse l'intérêt d'une montre connectée. Pourvu qu'Apple ne vende pas ses montres aux armées… Le passé d'une marque avec l'US Navy, la Royal Navy ou même l'armée allemande, russe ou chinoise est devenu aussi qualifiant que l'accompagnement des cosmonautes. Le message est universel et même les autres marchés y sont sensibles. La référence au vintage, aux années 1970 éveille l'intérêt des moins de 30 ans dont les parents ont rebattu les oreilles avec la liberté de cette époque d'avant Sida. En outre, les radios diffusent en masse les musiques de cette époque indéniablement plus créative qu'aujourd'hui.
Les réseaux sociaux sous contrôle On réaffiche des couleurs orange, les Américains en raffolent, des formes géométriques et on ajoute la modernité mécanique du 21ème siècle. Ca interpelle les jeunes Américains, fait hurler les Européens et en particulier les latins et les Chinois y voient une référence à l'Amérique et à l'occident interdite d'accès à leurs parents.
Tout cela donne une "mixture" horlogère qui ne ressemble à rien de commun avec nos cultures latino-gauloises et un vent de critique s'est fait jour ces dernières années davantage sur les forums que sur les réseaux sociaux plus lissés, plus policés et surtout sous contrôle direct des marques et des promoteurs des réseaux qui? ne l'oublions pas? font payer cher les marques présentes pour assurer le lissage positif des contenus affichés de sorte que ce qui est lu sur ces réseaux ne représente plus que ce que la marque veut qu'on y voit. Y adhérer est un renoncement à une forme de son esprit critique, un renoncement à la liberté consenti par des internautes qui placent pourtant leur liberté dans les valeurs revendiquées.
L'actualité des montres filtrée est donc réduite à la page officielle bien plus docile que les journalistes "libres" ou les admins de forum "où l'on critique tout". C'est que les enjeux pour les marques sont vitaux, l'image doit être maîtrisée, sous contrôle, il n'est pas question de prendre le moindre risque avec des "anarchistes du marketing". Chacun sait que l'horlogerie n'a plus les moyens d'une nouvelle crise alors qu'elle n'est même pas sortie de la précédente. Personne n'a les clés et tout le monde les cherche. En attendant, nombre de cadres expérimentés fuient l'horlogerie et n'y retourneront pour rien au monde. Il reste à savoir si les jeunes diplômés des écoles de commerce sauront mieux parler aux jeunes. Rien n'est moins sûr car la culture "réseaux sociaux" semble bien fragile.
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